Mars 2010 Geneviève Bertezène. Libraire Editeur
Tout à l’heure un papier froissé est tombé de ma poche.
J’ai continué mon chemin sur une trentaine de mètres.
J’ai fait demi-tour. Pour revenir sur mes pas ramasser la boulette.
La conscience l’a emporté sur la flemme après un combat intérieur d’une trentaine de mètres.
J’ai bien dit combat. Lutte. Corps à corps. Empoignade,
engueulade intérieure: tu vas aller la ramasser ta boulette oui ?
Corps à corps… Comme si on était dans la même peau.
A few moments ago a crumpled piece of paper fell from my pocket.
I continued on my way for about thirty metres
I turned round. To retrace my steps and pick up the ball of paper.
Conscience won over laziness after an internal fight lasting about thirty metres.
I really mean a fight. Struggle. Head to head combat. Tussle, slanging match: you are going to pick up your ball of paper, aren’t you?
Head to head… like one was in the same skin.
On est deux: moi et je.
Moi aurait laissé traîner la boulette. Moi s’en fiche.
Ce que moi laisse trainer, je va le ramasser.
Moi aurait tendance à se laisser prendre par toutes les vitrines, acheter ceci, cela.
Je l’empêche. Parce que je pense, je réfléchit: ça, ça, ça, est-ce bien nécessaire ?
Moi veut tout. Avide, insatiable, comme un enfant.
Heureusement que je suis là! Que je suis un père, une mère pour moi.
We are two: me and I.
Me would have let the ball of paper lie. Me couldn’t care less.
That which me let’s lie, I goes to pick up.
Me would have a tendency to be drawn in by all the shop windows, to buy this or that.
I prevents me. Because I thinks, I reflects: this, that and the other is it really necessary?
Me wants everything. Avid, insatiable, like a child.
It's fortunate that I am here! That I am a father, a mother to me.
Je n’ai pas toujours été là.
Moi en a laissé trainer des boulettes. En a acheté des choses en trop, dont je peine aujourd’hui à me défaire.
Des conjugaisons montrent bien qu’on est deux: Je me promène. Je promène moi.
Moi irait n’ importe où. Je l’oriente. De préférence vers les jardins. Vers là où c’est vert, clair, lumineux.
Moi irait voir n’importe quoi. Du moment que l'on dit que c’est à ne pas manquer, moi le croit.
I have not always been there.
More than once me has let the pieces of paper, the blunders, lie there. Has bought too many things which I have difficulty to get rid of.
Some conjugations show well that we are two: I go for a walk. I take me for a walk.
Me would go anywhere. I gives me direction. Preferably towards gardens. Towards the green, the light and the luminous
Me would go to see anything. From the moment that one says it is not to be missed, me believes it.
Une autre conjugaison montre bien qu’on est deux: je me calme.
Je calme moi, qui s’énerve pour un rien.
Dans les files d’attente, si quelqu’un fait mine de vouloir prendre mon tour, je dois intervenir d’urgence: calme-toi.
Des « moi » hyper énervés, sans « je » pour les calmer, à la moindre contrariété, sortent le poing, le couteau, le flingue.
Another conjugation shows well that we are two: I calm myself.
I calms me, who gets annoyed for nothing.
In a queue, if someone looks like they want to take my place, I have to intervene as a matter of urgency: Calm yourself.
“Me’s” are always hyper, without “I” to calm them, at the slightest annoyance “me’s” bring out the fist, the knife or the shooter.
Je suis rentrée mécontente de moi cette nuit.
On ne sortira plus me suis-je dit, ai-je dit à moi, qui a bavassé toute la soirée. Je n’ai rien pu dire. Je m’entendais me vanter, me plaindre, critiquer le monde: Tais-toi, tais-toi donc !
Qu’est-ce que tu racontes ? C’est n’importe quoi.
Moi n’entend pas, n’écoute pas la petite voix que je suis.
Je n’insiste pas.
Quand c’est comme ça, au bout d’un moment, je s’en va.
Je disparait complètement. Moi continue son cinéma.
I returned unhappy with me tonight.
We will no longer go out I said to myself, said I to me, who has jabbered away the whole evening. I have been unable to say anything. I was hearing me boasting, me complaining, criticising the world: shut up , shut up, why don’t you!
What are you talking about? It’s nonsense.
Me doesn’t hear, doesn’t listen to the little voice that I am.
I doesn’t insist.
When it’s like that, after a while, I goes away.
I disappears completely. Me continues her performance.
Quelqu’un dans la salle pourrait demander: C’est votre moi ou votre je qui parle? Vous êtes qui là? Excellente question a laquelle je va répondre.
Depuis le début, je parle… de moi ! De mes ennuis, de mes désaccords avec moi.
Autant je peux parler de moi, autant moi est incapable de dire qui je suis.
Moi ne sait jamais qui je suis.
Moi est le visage pâle dont je suis l’Indien. Le visage pâle ignore à peu près tout l’être dont il occupe le territoire.
Moi est le trou de serrure, le judas à travers lequel je perçois étroitement, obscurément, faussement le monde.
Seulement je ne peut vivre sans moi. Ici-bas ? Impossible !
Moi fournit les bras, les jambes, les oreilles, les yeux, la bouche.
Que serais-je sans moi!
Someone in the room could ask: Is it your me or your I who is speaking? Who are you there? Excellent question to which I is going to reply.
From the beginning I am speaking…. about me! Of my difficulties and disagreements with me.
Whilst I can speak about me, me is incapable of saying who I am.
Me never knows who I am.
Me is the pale-face of which I is the Indian. The pale-face ignores almost entirely the being of the territory which he occupies.
Me is the keyhole, the peep-hole through which I perceive the world narrowly, obscurely, falsely.
But I is unable to live without me. In this world? Impossible!
Me supplies the arms, the legs, the ears, the eyes, the mouth.
What would I be without me.
Pour en revenir et en finir avec la soirée d’hier, c’est moi qui avait voulu y aller. Je n’y tenait pas. Chaque fois que je me laisse entrainer par moi, c’est la cata – on ne finit pas les mots, on n’a pas le temps.
Quand je décide, c’est beaucoup mieux.
Je décide après mûre réflexion. Moi non.
Moi agit par pulsion. Un cheval emballé dont je dois tenir les rênes. Je suis le cavalier. Moi n’est que mon cheval.
To return and finish with yesterday evening, it is me who had wanted to go there. I did not really want to. Each time that I goes along with me it is a catas…. We don’t finish our words we don’t have the time.
When I decides, it is much better.
I decides after ripe reflection. Me no.
Me acts impulsively. A runaway horse of which I must hold the reins. I is the rider. Me is only my horse.
Pendant des années, le cheval entraînait au diable le cavalier.
Le renversait. Le trainait à sa suite dans la poussière.
Ce qu’on aimerait pouvoir revenir sur ses pas. Ramasser toutes les boulettes.
Over the years, the horse has been taking the rider to the devil.
Threw him off, dragged him behind in the dust.
Who wouldn’t like to be able to retrace their steps. To pick up all the blunders, the balls of paper.
Pour en savoir plus de France Léa
http://www.petit-chariot.org/france%20lea.htm
Elle a fait une soirée au Festival du Conte 2010 de l'Association Arcade de Bretenoux, Lot.
http://www.arcade-bretenoux.fr/festival-du-conte-2010/rien-de-trop-france-lea
J’ai continué mon chemin sur une trentaine de mètres.
J’ai fait demi-tour. Pour revenir sur mes pas ramasser la boulette.
La conscience l’a emporté sur la flemme après un combat intérieur d’une trentaine de mètres.
J’ai bien dit combat. Lutte. Corps à corps. Empoignade,
engueulade intérieure: tu vas aller la ramasser ta boulette oui ?
Corps à corps… Comme si on était dans la même peau.
A few moments ago a crumpled piece of paper fell from my pocket.
I continued on my way for about thirty metres
I turned round. To retrace my steps and pick up the ball of paper.
Conscience won over laziness after an internal fight lasting about thirty metres.
I really mean a fight. Struggle. Head to head combat. Tussle, slanging match: you are going to pick up your ball of paper, aren’t you?
Head to head… like one was in the same skin.
On est deux: moi et je.
Moi aurait laissé traîner la boulette. Moi s’en fiche.
Ce que moi laisse trainer, je va le ramasser.
Moi aurait tendance à se laisser prendre par toutes les vitrines, acheter ceci, cela.
Je l’empêche. Parce que je pense, je réfléchit: ça, ça, ça, est-ce bien nécessaire ?
Moi veut tout. Avide, insatiable, comme un enfant.
Heureusement que je suis là! Que je suis un père, une mère pour moi.
We are two: me and I.
Me would have let the ball of paper lie. Me couldn’t care less.
That which me let’s lie, I goes to pick up.
Me would have a tendency to be drawn in by all the shop windows, to buy this or that.
I prevents me. Because I thinks, I reflects: this, that and the other is it really necessary?
Me wants everything. Avid, insatiable, like a child.
It's fortunate that I am here! That I am a father, a mother to me.
Je n’ai pas toujours été là.
Moi en a laissé trainer des boulettes. En a acheté des choses en trop, dont je peine aujourd’hui à me défaire.
Des conjugaisons montrent bien qu’on est deux: Je me promène. Je promène moi.
Moi irait n’ importe où. Je l’oriente. De préférence vers les jardins. Vers là où c’est vert, clair, lumineux.
Moi irait voir n’importe quoi. Du moment que l'on dit que c’est à ne pas manquer, moi le croit.
I have not always been there.
More than once me has let the pieces of paper, the blunders, lie there. Has bought too many things which I have difficulty to get rid of.
Some conjugations show well that we are two: I go for a walk. I take me for a walk.
Me would go anywhere. I gives me direction. Preferably towards gardens. Towards the green, the light and the luminous
Me would go to see anything. From the moment that one says it is not to be missed, me believes it.
Une autre conjugaison montre bien qu’on est deux: je me calme.
Je calme moi, qui s’énerve pour un rien.
Dans les files d’attente, si quelqu’un fait mine de vouloir prendre mon tour, je dois intervenir d’urgence: calme-toi.
Des « moi » hyper énervés, sans « je » pour les calmer, à la moindre contrariété, sortent le poing, le couteau, le flingue.
Another conjugation shows well that we are two: I calm myself.
I calms me, who gets annoyed for nothing.
In a queue, if someone looks like they want to take my place, I have to intervene as a matter of urgency: Calm yourself.
“Me’s” are always hyper, without “I” to calm them, at the slightest annoyance “me’s” bring out the fist, the knife or the shooter.
Je suis rentrée mécontente de moi cette nuit.
On ne sortira plus me suis-je dit, ai-je dit à moi, qui a bavassé toute la soirée. Je n’ai rien pu dire. Je m’entendais me vanter, me plaindre, critiquer le monde: Tais-toi, tais-toi donc !
Qu’est-ce que tu racontes ? C’est n’importe quoi.
Moi n’entend pas, n’écoute pas la petite voix que je suis.
Je n’insiste pas.
Quand c’est comme ça, au bout d’un moment, je s’en va.
Je disparait complètement. Moi continue son cinéma.
I returned unhappy with me tonight.
We will no longer go out I said to myself, said I to me, who has jabbered away the whole evening. I have been unable to say anything. I was hearing me boasting, me complaining, criticising the world: shut up , shut up, why don’t you!
What are you talking about? It’s nonsense.
Me doesn’t hear, doesn’t listen to the little voice that I am.
I doesn’t insist.
When it’s like that, after a while, I goes away.
I disappears completely. Me continues her performance.
Quelqu’un dans la salle pourrait demander: C’est votre moi ou votre je qui parle? Vous êtes qui là? Excellente question a laquelle je va répondre.
Depuis le début, je parle… de moi ! De mes ennuis, de mes désaccords avec moi.
Autant je peux parler de moi, autant moi est incapable de dire qui je suis.
Moi ne sait jamais qui je suis.
Moi est le visage pâle dont je suis l’Indien. Le visage pâle ignore à peu près tout l’être dont il occupe le territoire.
Moi est le trou de serrure, le judas à travers lequel je perçois étroitement, obscurément, faussement le monde.
Seulement je ne peut vivre sans moi. Ici-bas ? Impossible !
Moi fournit les bras, les jambes, les oreilles, les yeux, la bouche.
Que serais-je sans moi!
Someone in the room could ask: Is it your me or your I who is speaking? Who are you there? Excellent question to which I is going to reply.
From the beginning I am speaking…. about me! Of my difficulties and disagreements with me.
Whilst I can speak about me, me is incapable of saying who I am.
Me never knows who I am.
Me is the pale-face of which I is the Indian. The pale-face ignores almost entirely the being of the territory which he occupies.
Me is the keyhole, the peep-hole through which I perceive the world narrowly, obscurely, falsely.
But I is unable to live without me. In this world? Impossible!
Me supplies the arms, the legs, the ears, the eyes, the mouth.
What would I be without me.
Pour en revenir et en finir avec la soirée d’hier, c’est moi qui avait voulu y aller. Je n’y tenait pas. Chaque fois que je me laisse entrainer par moi, c’est la cata – on ne finit pas les mots, on n’a pas le temps.
Quand je décide, c’est beaucoup mieux.
Je décide après mûre réflexion. Moi non.
Moi agit par pulsion. Un cheval emballé dont je dois tenir les rênes. Je suis le cavalier. Moi n’est que mon cheval.
To return and finish with yesterday evening, it is me who had wanted to go there. I did not really want to. Each time that I goes along with me it is a catas…. We don’t finish our words we don’t have the time.
When I decides, it is much better.
I decides after ripe reflection. Me no.
Me acts impulsively. A runaway horse of which I must hold the reins. I is the rider. Me is only my horse.
Pendant des années, le cheval entraînait au diable le cavalier.
Le renversait. Le trainait à sa suite dans la poussière.
Ce qu’on aimerait pouvoir revenir sur ses pas. Ramasser toutes les boulettes.
Over the years, the horse has been taking the rider to the devil.
Threw him off, dragged him behind in the dust.
Who wouldn’t like to be able to retrace their steps. To pick up all the blunders, the balls of paper.
Pour en savoir plus de France Léa
http://www.petit-chariot.org/france%20lea.htm
Elle a fait une soirée au Festival du Conte 2010 de l'Association Arcade de Bretenoux, Lot.
http://www.arcade-bretenoux.fr/festival-du-conte-2010/rien-de-trop-france-lea